mardi 23 février 2010

Les Échecs et la réussite

Il m’a été offert de donner suite à mon article intitulé : « Les échecs et les valeurs de vie » paru dans le dernier numéro de Portfolio. Quand j’ai su que le thème de l’actuel numéro était la réussite, j’en fus ravi.

J’avais écrit deux paragraphes dans mon dernier article sur la compétition dont je me ferai un plaisir de pousser un peu plus loin la réflexion avec vous. Je disais :

La compétition
« La richesse du jeu d’échecs hormis sa diversité de combinaison dans son jeu, c’est qu’il nous confronte davantage à nous-mêmes qu’à notre partenaire de jeu. Je dis sciemment partenaire de jeu et non adversaire, car posons-nous la question sur la compétitivité et la relation avec nos proches. En effet, est-ce qu’un adversaire accepterait de jouer avec nous? C’est une éducation à transmettre avec urgence à nos jeunes.

La compétition doit céder le pas au plaisir du jeu. Plaisir qui implique deux participants donc ultimement deux gagnants! La victoire n’est pas sur l’autre, mais sur soi. Faire de notre mieux, telle la devise du scoutisme, permet aux deux joueurs de sentir que la véritable réussite est dans l’amélioration de soi. »

Qu’est-ce que la réussite?

Il y a quelques années, j’ai lu un livre intitulé : « Les relations humaines, secret de la réussite » d’Elmer Wheeler, Éd. Un monde différent ltée. Je voudrais vous citer quelques lignes de sa préface qui sauront vous plaire. Afin de ne pas alourdir l’article, j’ai retranché quelques phrases qui n’étaient pas pertinentes à mon propos.

« Comment se frayer un chemin dans la vie? Enfants, nous avons tous eu nos rêves, nous avons tous bâti nos châteaux en Espagne. Chacun a rêvé un jour d’être médecin, avocat ou homme d’affaires, infirmière, épouse ou femme de carrière; dans la vie réelle : qu’est-il advenu de nos rêves? Nous nous sommes retrouvés comptable ou ménagère ou engagés dans quelque activité quotidienne. Nous avons toujours nos rêves et nous pouvons encore les réaliser.

Qu’attendez-vous de la vie?
Nous étions un groupe d’amis rassemblés dans mon cabinet de travail de Sizzle Ranch (ranch du grésille), à Dallas, Texas; la discussion portait sur des hommes que nous connaissions et qui avaient réussi dans la vie.

À un moment donné, la conversation tomba et un garçon de 5 ans, assis au pied de la cheminée et ayant l’air distrait, en profita pour me regarder droit dans les yeux et me demander : « Dites, monsieur Sizzle (monsieur Grésille), qu’est-ce que c’est, un homme qui a réussi? »

Je me suis senti sur la sellette et suggérai que pour lui répondre convenablement, il était préférable que chacun écrive sur une feuille de papier sa définition de la réussite; après quoi nous déciderions de la meilleure formule.

Un jeu des plus étonnants

Nous sommes sept dans mon cabinet de travail. Évidemment, quand j’ouvre les sept papiers, j’y lis sept définitions différentes.

Pour l’un, réussir consiste à atteindre le bonheur. Un autre prétend qu’une personne qui a du succès gagne beaucoup d’argent pour sa famille et ses vieux jours. Un autre prétend que l’on atteint le succès lorsque l’on vit de manière à être respecté par les autres. Pour un autre, on ne peut considérer qu’un homme a réussi que s’il consacre sa vie au service d’autrui. Alors que nous discutons toujours de ce qui fait le succès d’une vie, le garçon fait preuve d’une nouvelle inspiration. « Pourquoi on ne regarde pas dans le dictionnaire? » demande-t-il candidement, comme seuls les enfants le font.

L’avis du dictionnaire
Cette idée semble un bon moyen de régler la question. Je sors donc mon dictionnaire et j’y cherche le mot « succès » dans le sens de « réussite ».

Et je lis :
Succès : le fait, pour quelqu’un, d’obtenir ce qu’il a cherché, de parvenir à un résultat souhaité.

Là-dessus, Gene Flack prend la parole et dit : « J’ai l’impression que nous avions tous tort. Le succès, c’est tout simplement l’accomplissement de ce qu’on a voulu faire ou avoir, quoi que ce soit ».

John D. Murphy enchaîne : « Nous avons tous voulu donner notre idée personnelle de ce qu’une personne selon nous, devrait accomplir, comme chacun de nous désire quelque chose de différent dans la vie, réussir ne signifie pas la même chose pour tous ».

La véritable réponse à la question « Qu’est-ce qu’une personne qui a réussi? » sera tout simplement : « Une personne qui a obtenu ce qu’elle désirait ».

Un objectif peut être grand ou petit. On peut désirer un million de dollars ou prononcer une bonne allocution. Un enfant peut désirer que son père lui achète des bonbons.

Certains veulent se marier, d’autre écrire un livre ou construire un bateau; d’autres encore changer de métier, obtenir de l’avancement ou avoir un rendez-vous avec une belle secrétaire, ou bien modifier une mauvaise habitude.

Il n’en reste pas moins que si vous avez eu ce que vous désiriez, vous avez obtenu le succès, vous avez réussi!

Que désirez-vous?
La scène précédente m’a amené à réfléchir. Qu’est-ce que vous attendez de la vie?

La réussite, c’est obtenir ce qu’on veut de l’existence. J’aime cette définition; elle ramène le succès à des dimensions plus réalistes. La réussite n’est plus quelque concept philosophique flou, mais une réalité, bien concrète, qu’on peut étudier ou analyser.

Ces dernières réflexions nous ont fait entamer une nouvelle discussion. Mon ami Clyde Phillips nous demande : « Pour quelles raisons certains atteignent-ils tous les objectifs qu’ils se fixent alors que d’autres ne subissent que des échecs? »

Qu’est-ce qui fait que certains sont ‘gagnants’, et d’autres ‘perdants’ au jeu de la vie? C’était une bonne question, claire et précise.

Owen Nicholls suggère : « Y aurait-il certaines notions, certaines méthodes qu’on pourrait mettre en pratique pour réussir, quel que soit le but visé? »

Un autre affirme : « D’après moi, c’est essentiellement une question d’éducation supérieure. » Mais immédiatement, quelqu’un d’autre souligne que plusieurs de ceux qui ont obtenu du succès n’avaient que peu ou pas d’instruction conventionnelle.

L’instruction n’est qu’une partie de la solution
La dernière remarque est fort juste lorsqu’on considère que Thomas Edison n’est allé à l’école que pendant trois mois. Abraham Lincoln était pratiquement autodidacte. Benjamin Franklin n’est jamais allé à l’école. Les frères Wright n’étaient pas des savants de métier, mais des réparateurs de bicyclettes.

« Ce doit être une question de chance, dit un autre, ceux qui réussissent ont tous les atouts en main. Ou bien ils épousent la fille du patron ou bien ils sont nés dans l’or et la soie ».

« Que pensez-vous de Charles Curtis, l’ancien vice-président des États-Unis? » demande d’une voix douce mon ami mexicain, le Señor G. Guajardo Davis. Curtis était né dans un village amérindien et gagnait sa vie en conduisant un taxi.

Puis le professeur Hovey surenchérit : « Une récente enquête, portant sur 143 hommes à la tête de nos plus grosses entreprises, a démontré que le salaire moyen de ces personnes à leurs débuts ne s’élevait qu’à 13,40$ par semaine. C’est loin d’étayer la théorie selon laquelle ils auraient eu toutes les chances de leur côté dès le départ! »

Qu’est-ce qui fait un gagnant?
Flack intervient : « Je crois que nous suivons à nouveau une mauvaise piste. Nous sommes d’accord pour dire que réussir signifie atteindre ou réaliser ses objectifs. Or, étant donné que dans la vie tout ce qui nous arrive nous vient obligatoirement des autres ou à cause des autres, je pense que le principal ingrédient du succès, c’est l’aptitude à bien s’entendre avec les gens! »

Si nous voulons aboutir à quelque chose, nous devons vendre nos idées aux autres et surtout leur vendre l’idée de nous aider.

Naissance de l’art de se vendre soi-même
Ce garçon de cinq ans avait réellement actionné quelque chose. Je n’avais jamais pensé à appliquer des techniques de vente éprouvées à des individus.

Je n’arrivais pas à chasser cette idée de mon esprit. Aussi ai-je commencé à prendre en notes chaque fois que je rencontrais des personnes arrivées. Je leur posais des tas de questions sur leur conception de la réussite.

Lorsque j’ai étudié mes notes sur ces centaines de cas actuels de succès bien vivants, j’ai découvert qu’ils avaient une chose en commun :

Ils savaient tous se vendre aux autres!
Ils savaient se vendre à leurs employés ou leur employeur et obtenir la collaboration et la loyauté des autres. Ils savaient se vendre à leurs amis, à leurs proches, à leurs voisins, à tous ceux qu’ils côtoyaient quotidiennement. Ils savaient vendre leurs idées. Ils savaient amener les gens à faire ce qu’ils désiraient leur voir faire. Ils savaient en outre comment se faire accepter et faire passer leurs idées.

C’est ainsi qu’en me basant sur mes observations actuelles et sur mes recherches historiques, je me suis mis à écrire ce livre pour vous aider à obtenir ce que vous attendez de la vie.

Tout réside dans ce que vous faites… et dites!

Les quatre points de la formule de Wheeler

1er point : « Ne forcez pas les gens à boire, donnez-leur soif! » On peut conduire un cheval à l’abreuvoir, mais on ne peut le forcer à boire; on peut conduire le jeune homme à l’autel, mais on ne peut le forcer à dire ‘oui’ sans le traditionnel couteau dans les reins.

2e point : « Ne vendez pas un emballage vide. » Les pochettes surprises s’avèrent souvent décevantes; aussi, mettez quelque chose de valeur dans ce que vous offrez aux autres. Plus vous offrirez aux gens, plus ils abonderont dans votre sens. On ne va pas très loin en offrant moins que l’on reçoive.

3e point : « Mettez-vous au diapason des autres. » Vous pouvez leur avoir donné soif et être prêt à leur offrir beaucoup; si vous ne vous méfiez pas et ne vous accordez pas aux autres, vous ne réussirez pas à vous vendre ni à vos amis ni aux autres. Synchronisez votre pensée sur les autres. Étudiez leurs sujets d’intérêt, leurs passe-temps, leurs ambitions; troquez-leur ce que vous avez à offrir contre ce que vous désirez en échange.

4e point : « Faites participer les autres. » Si vous voulez que les autres vous aident, faites-les participer à ce que vous entreprenez. Laissez-les pénétrer dans votre intérieur. Une personne que vous laissez dehors au froid ne sera pas très enthousiaste pour vous aider. Transformez les ‘tu’ et les ’je’ en ‘nous’. »
Fin de l’extrait du livre. Voyons à présent comment appliquer ces principes au jeu d’échecs.

Faire une réussite de ses échecs.
Je dis souvent à la blague qu’il est important de faire une réussite de ses échecs. Tout jeu implique une notion de victoire, donc de réussite.

Mais qu'est-ce que la réussite dans un jeu comme celui des échecs? Elle est subjective et donc, sujette à diverses interprétations selon chacun.

La réussite? Quelle réussite?
Pour certains, c’est la formule compétitive :

1- De gagner une partie.
N’est-ce pas le but ultime de toute partie d’échecs? Sans cela, à quoi sert le jeu? Jouer pour ne pas gagner ou pour perdre serait un non-sens. Il existe d’ailleurs une variante du jeu appelé anti-échecs qui déclare vainqueur celui qui le premier perd toutes ses pièces.

2- D’avoir le point.
Pour départager les gagnants d’un tournoi, il y a un système de pointage qui donne pour une victoire : 1 point, pour une partie nulle : ½ point et pour une défaite : 0 point; ce qui permet une stratégie pour remporter un tournoi en ne recherchant qu’une nulle de plus que son plus proche adversaire.

3- De battre son « adversaire ».
Ici nous sommes dans la compétition la plus traditionnelle. À savoir, prendre le dessus sur l’autre, jouer le jeu d’un mécanisme de domination. Avoir du pouvoir sur l’autre en gagnant contre lui.

4- D’être le champion.
C’est viser la suprématie. Il n’y a qu’un but : finir premier, seulement premier. Cela implique un entraînement intensif de plusieurs heures par jour, de compétitionner à tous les niveaux et d’analyser rigoureusement toutes ses parties pour en déceler les points forts et pour accroître ses performances.

Pour d’autres, c’est la formule participative :

5- D’avoir du plaisir.
N’est-ce pas également le but d’un jeu? Se récréer? Il n’y a rien de répréhensible à se divertir, à jouer pour le plaisir du jeu, sans plus. On parle ici d’une partie amicale, où la qualité du moment passé vaut plus que le résultat qui en fin de compte importe peu.

6- De participer.
Le plaisir de se retrouver en groupe dans un tournoi pour vivre l’expérience du jeu d’échecs en mode compétition de masse où le résultat importe pour certains (ceux qui veulent gagner) et moins pour d’autres (ceux qui veulent seulement en faire l’expérience).

7- D’être fier de soi.
Se lancer le défi d’apprendre ce jeu qui peut sembler rébarbatif pour certains et fort amusant pour d’autres. Se prouver, quel que soit son âge, que l’on peut apprendre un tel jeu. Quelle joie!

8- De s’améliorer.
Développer avec patience et détermination ses compétences. Aller toujours plus loin dans sa compréhension du jeu avec un souci de parfaire ses connaissances et de maîtriser les principes qui s’y retrouvent.

Peut-il y avoir réussite sans compétition?
À cette épineuse question, je réponds non. Mais, encore là, quelques nuances s’imposent. Est-ce la compétition à tout prix, au détriment de l’autre, sans aucune retenue ni considération? Absolument pas!
Il faut laisser le moteur de la compétition aiguillonner nos jeunes dans les sillons de la réussite.
Réussir à tout prix est à proscrire. Cependant, la réussite sans la compétition serait une vaine chimère. Mais alors, de quelle compétition pourrions-nous faire la promotion? De l’autocompétition. De la compétition envers ses performances passées. Se dépasser soi-même. Aller au-delà de soi.

Être meilleur qu’hier, voilà, la véritable victoire ultime qui ne fait pas de victime.

La réussite ou l’excellence?
Cela nous amène une autre question : atteindre la réussite ou viser l’excellence?

Enseigner à nos jeunes, le dépassement de soi, l’amélioration et l’autoreconnaissance de son potentiel est la plus belle forme de satisfaction qui existe sur terre.

Réussir dans l’adversité.
Peut-on réussir dans l’adversité? Non, mais face à l’adversité, oui! C’est une question d’attitude. Je dis souvent à mes jeunes dans mes classes d’échecs : « même si tu perds la partie, tu peux gagner quelque chose, apprend pourquoi tu as perdu et retient-le pour ne plus le faire et ainsi tu gagnes de l’expérience. »

Il est navrant de voir des gens qui oublient pourquoi et comment ils ont fait pour gagner et ensuite de les entendre se lamenter sur leurs déboires parce qu’ils échouent et n’ont su rien apprendre de leurs revers.

Ténacité ou acharnement?
Jusqu’à quel point dois-je lutter pour gagner une partie? Cela dépend du tempérament du joueur, de l’enjeu de la partie et des chances de gain. Ceux qui n’aiment pas perdre vont lutter ‘in extremis’ sans grand résultat autre qu’une frustration plus vive. D’autre part, la combativité est de mise si l’on veut réussir à gagner quelques points dans un jeu comme les échecs.

En conclusion, laissons la compétition aux compétiteurs et la participation aux participants; que tout le monde y trouve sa place avec par-dessus tout le plaisir du jeu. Car au fait c’est bien d’un jeu qu’on parle et il ne faudrait surtout pas l’oublier.

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